Je vais sûrement me faire injurier ou mal comprendre avec ce que je vais dire dans ce billet. Je crois cependant que je dois le dire. Notre pays est piégé dans le cacao et nous sommes en position de faiblesse face aux multinationales. Si nous regardons les choses avec recul et analysons les faits, on sera d’accord que la meilleure décision pour un agriculteur ivoirien qui veut mieux vivre est…de ne plus faire de cacao, quoique je sois très mal placé pour dire cela. Je travaille pour Yara International et je vends des quantités substantielles d’engrais chaque année pour le cacao.

Le cacao ivoirien

La Côte d’Ivoire a produit ces dernières années plus de 2 millions de tonnes de cacao par an. La production de cacao se concentre dans les zones forestières de l’Ouest, du Sud-ouest, du Centre-Ouest et de l’Est du pays. Le pays compte près d’un million de petits producteurs avec des superficies moyennes de 3 hectares. La culture du cacao fait vivre plus de 5 millions de personnes dans le pays, cependant plus de la moitié des cacaoculteurs vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Boucles successives du cacao

Faisons les calculs

Qui sont ceux qui profitent le plus de la cacaoculture? Nous avons grandi en entendant tous les jours à la RTI que le succès de ce pays repose sur l’agriculture. Nous en avons déduit que les agriculteurs devraient être les mieux lotis du pays. Cependant de nombreux rapports prouvent que les producteurs de cacao sont pauvres et n’ont même pas le minimum pour scolariser leurs enfants, encore moins de quoi se construire un habitat décent.

Le rendement moyen annuel par hectare de cacao en Côte d’Ivoire se situe à environ 550 Kilogrammes. Avec un prix d’achat bord champ de 1000F/ kg, le cacaoculteur se retrouvera avec un revenu annuel brut de 1.650.000 FCFA. De cette somme il doit déduire les salaires des manœuvres (occasionnels ou permanents), le coût des intrants (herbicides, fongicides, engrais, bio stimulants…). De ce maigre revenu il doit retirer de quoi se soigner et soigner sa famille, acheter du vivrier et VIVRE simplement. Vous convenez avec moi que ce revenu moyen est très faible.

A qui profite le cacao?

La chaîne de valeur du cacao réserve des surprises. Les plus gros bénéficiaires sont les chocolatiers suivis de celui qui collecte les impôts! Les DUS (Droit Unique de Sortie) et les droits d’enregistrement sont une manne bien utile à notre Etat pour faire face à ses charges. A cela s’ajoute la fiscalité assise sur toutes les entreprises du secteur.

Le producteur de cacao ne gagne que 6% de la valeur globale de son produit. Cela peut paraitre injuste mais c’est ce qui se passe lorsqu’on ne fait que récolter et vendre des fèves sans aucune transformation depuis plus de 60 ans.

Répartition de la valeur du cacao

Le faible taux de transformation du cacao demeure le facteur clé de la mauvaise redistribution de la richesse produite par l’or brun. Aujourd’hui la Côte d’Ivoire broie à peu près  30% de sa production et exporte le reste en l’état. La colonisation qui a fait de nos pays des zones de production de matières premières a laissé des habitudes coriaces. Pire, le combat technologique est en notre défaveur avant même celui du marché. En effet, l’Afrique consomme seulement 4% de la production mondiale de chocolat contre 45 % pour l’Europe.

Les innovations technologiques expliquent  l’importance des gros acteurs  sur les marchés internationaux. C’est en Suisse qu’on a inventé une façon d’incorporer le lait dans le chocolat. Et le processus d’extraction qui permet de produire une poudre de cacao a été mis au point par un Néerlandais. En Angleterre, patrie des Rowntree’s et Cadbury, le chocolat était une calorie peu coûteuse pour nourrir les ouvriers durant la révolution industrielle. Les États-Unis ont pour leur part attiré des industriels européens qui ont amené avec eux leur savoir-faire.

Mais pourquoi le producteur souffre tant ?

Les problèmes

Le producteur moyen de cacao est un homme de plus de 40 ans. Il est peu instruit et vit en zone rurale avec une famille. Il pratique une agriculture traditionnelle avec des méthodes manuelles, archaïques, sans respect des bonnes pratiques agricoles et surtout de façon extensive. Cela conduit à des rendements faibles, de la déforestation et finalement à la pauvreté.

Les producteurs sont très mal organisés et sont trop faibles dans la chaîne de valeur pour pouvoir mieux défendre  eurs intérêts. Les structures d’encadrement manquent de moyens pour soutenir les agriculteurs sur le terrain. La corruption laisse prospérer la création de coopératives fictives qui ne servent que leurs promoteurs. Cette même corruption gangrène le processus de certification.

Les cacaoculteurs sont peu bancarisés et n’ont pas un accès large aux services bancaires. De ce fait, ils ne peuvent pas se permettre d’acheter les intrants et ainsi avoir de meilleurs rendements sur des parcelles plus petites. Ainsi ils vivent dans la pauvreté, ont un accès limité aux services de santé. Par ailleurs, les paiements en espèces augmentent l’insécurité. Pendant la traite du cacao, les producteurs et les pisteurs devenant des cibles privilégiées pour les braqueurs.

Nos pays ne constituent pas de débouchés suffisamment solides pour consommer les 2,2 millions de tonnes que nous produisons. Nous sommes donc dans un rapport de force défavorable face aux industriels centenaires qui dominent le marché international.

Quelles solutions?

La diversification reste l’une des solutions à moyen terme pour le producteur et pour l’Etat. Nous devons orienter notre agriculture vers les produits que nous consommons et travailler à leur transformation locale. La modernisation de notre agriculture devra être traitée avec plus de moyens. Le système bancaire devra être associé pour financer une autre génération d’agri-entrepreneurs. C’est en améliorant nos rendements qu’on pourra gagner le combat sur les marchés internationaux pour les cultures comme le riz et le maïs.

L’Etat devra lutter contre la corruption qui mine le secteur et mettre de l’ordre dans les coopératives et leur gestion.

Il faut aussi créer un cartel des producteurs avec les autres pays africains comme le Ghana. Ce cartel devra lutter pour influencer la répartition de la richesse du cacao.