J’ai appris le sens premier du mot lascar cette semaine lors d’un voyage dans le sud-ouest du pays qui m’a conduit entre autres à Sassandra, San Pedro et Tabou. J’ai visité Sassandra pour la première fois en 2009 et aujourd’hui je constate que cette ville historique a du mal à progresser. Sa position géographique, son accès difficile et la proximité de San Pedro sont peut-être des facteurs qui influencent son évolution. Je crois cependant qu’il y a de belles choses à découvrir dans cette petite ville.

Bienvenue dans le Gboklè

Sassandra est une ville de 40 mille habitants, située dans la région du Gboklè. Selon Wikipedia, Le premier nom du village d’origine serait Gbogré-Djigbi. Le nom de la ville a été changé par les Portugais qui ont visité le pays Krou en 1471. Ce sont eux qui avaient donné aux fleuves de la région les noms de Rio San Andrea (devenu Sassandra) et de Rio San Pedro (devenu San Pedro).

Histoire d’un naufrage

En allant déjeuner au bord de la mer j’ai été intrigué par un monument au bord de la route sur le flanc d’une colline couverte d’une belle verdure. Je n’avais jamais fait attention à cette stèle lors de mes précédentes visites. J’ai demandé à quelques passants ce que c’était mais personne n’a pu me répondre correctement. Je me suis approché pour lire et prendre quelques photos sous le regard curieux de quelques passants.

Il est écrit au-dessus: « À la mémoire des victimes du naufrage du S.S. Dumana torpillé le 25 décembre 1943 » En dessous on peut lire les noms et grades des 15 membres d’équipage et des 7 membres de la Royal Air Force qui ont perdu la vie dans ce torpillage. J’ai tout de suite fait quelques recherches sur Internet et j’ai compris l’histoire du navire et du monument. Aucune mention des 17 lascars qui y ont perdu la vie. L’histoire détaillée de ce naufrage permet de comprendre en partie la part des pays africains dans la seconde guerre mondiale.

M V Dumana
La stèle aux naufragés

Mais s’il y a quelque chose qui m’a chiffonné c’est l’oubli des noms des lascars sur la plupart des sites Internet qui en parlent. Ces anonymes qui faisaient le travail dans les cales pour faire tourner le navire, ces hommes de métiers que l’histoire et nous tous passons sous silence dans la vie quotidienne.

Les lascars oubliés du quotidien aujourd’hui ce sont ces hommes et femmes qui nettoient nos hôpitaux, et bureaux, ces personnes qui collectent nos ordures, ces aides-soignants et ces ouvriers sur les lignes de production qui fournissent les biens de première nécessité. La pandémie de COVID-19 nous a montré que les personnes qui font le travail le plus nécessaire à notre société sont les moins bien traitées et ceux qu’on oublie sur les stèles…

Une ville oubliée

Comme ces matelots oubliés j’ai eu le sentiment que la ville de Sassandra est quelque peu oubliée par les Ivoiriens. Le tourisme intérieur reste peu développé et bien souvent on préfère d’autres destinations à celle de Sassandra. L’accès à la ville est un peu compliqué. La côtière qui est la route la plus courte en venant d’Abidjan est en très mauvais état et il faut compter au moins 4 heures de conduite. Si vous passez par Gagnoa, Soubré et San Pedro pour y revenir, il faut compter plus de 10 heures. Vous pouvez utiliser l’avion, atterrir à San Pedro et faire une heure et demie de route environ pour faire les 77 km qui séparent les deux villes.

Le port de pêche de Sassandra

Cela étant dit, le bord de mer offre une belle vue sur le wharf qui part en lambeaux, les restaurants, les pêcheurs sur l’Océan Atlantique, le port Fanti. Ce dernier a bénéficié d’un nouveau marché et les bateaux de pêche artisanaux qui y accostent rivalisent de couleurs. Si vous avez le temps vous pourrez visiter aussi la forêt sacrée et nourrir ses singes.

Il est aussi possible de voir l’embouchure du fleuve Sassandra. Le quartier colonial offre un voyage dans l’histoire du pays. On y trouve les restes de la résidence des gouverneurs qui fait face aux anciens entrepôts des esclaves et aussi les entrepôts de la CFAO (Compagnie Française d’Afrique de l’Ouest), le bâtiment de la Banque de l’Afrique de l’Ouest et son coffre-fort. Je vous encourage vivement à visiter cette ville sans oublier de goûter aux fruits de mer frais. Ne participez pas à son oubli comme celui des lascars du S S Dumana.

Ancien entrepôt de la CFAO
Entrepôt de stockage d’esclaves
Ruines de la résidence du gouverneur
Le marché au poisson