Entre décembre 2020 et juin 2022, le prix des engrais est passé du simple au triple sur le marché ivoirien. Si la hausse des prix de 2021 était inquiétante, les événements survenus en 2022 ont poussé les prix de ces intrants agricoles à des sommets jamais atteints. Cette année, nous sommes arrivés à vendre la tonne d’engrais à plus de 750.000 FCFA départ usine à Abidjan contre 190.000 FCFA en décembre 2020 !
Comment en-sommes nous arrivés là ? Il s’agit de l’effet combiné de plusieurs raisons
La perturbation des chaînes logistiques suite aux sanctions
Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, la guerre a perturbé les expéditions d’engrais, une source essentielle de nutriments pour les cultures. La Russie est le premier exportateur mondial d’engrais azotés et se classe au deuxième rang des exportations d’engrais phosphorés et potassiques. La Biélorussie, un allié russe également aux prises avec des sanctions occidentales, est un autre grand producteur d’engrais. En outre, les deux pays représentent collectivement plus de 40 % des exportations mondiales de potasse, un élément nutritif des cultures. La guerre et les sanctions ont donc mis à mal la logistique mondiale des engrais et les autres pays producteurs d’engrais se sont retrouvés face à une demande supérieure à leurs capacités.
Cependant, de nombreux pays en développement, dont la Mongolie, le Honduras, le Cameroun, le Ghana, le Sénégal et le Guatemala, la Côte d’Ivoire dépendent de la Russie pour au moins un cinquième de leurs importations d’engrais.
Coûts des intrants en forte hausse
La hausse des prix du gaz naturel, en particulier en Europe, a entraîné des réductions généralisées de la production d’ammoniac, un intrant important pour les engrais azotés. De même, la flambée des prix du charbon en Chine, principale matière première pour la production d’ammoniac dans ce pays, a contraint les usines d’engrais à réduire leur production, ce qui a contribué à la hausse des prix de l’urée. Les prix plus élevés de l’ammoniac et du soufre ont également fait grimper les prix des engrais phosphatés.
Les restrictions aux exportations
La guerre a conduit des pays comme la Chine et l’Inde à restreindre les exportations d’engrais. Cette décision a augmenté la pression sur les pays importateurs d’engrais.
Les restrictions à l’exportation ne font qu’aggraver la situation en rendant les engrais encore plus difficilement accessibles aux pays en développement les plus pauvres, qui souffrent le plus de l’insécurité alimentaire et de la faim.
Quelques conséquences
La crise des céréales
Le prix des céréales (et des denrées alimentaires en général) a considérablement augmenté en raison de la hausse des prix de l’énergie, qui a affecté le prix des engrais. Ce phénomène a été renforcé par les problèmes de chaîne d’approvisionnement liés au Covid et la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Le blocus des ports ukrainiens par la flotte russe de la mer Noire, ainsi que les sanctions occidentales contre la Russie, ont aggravé les goulots d’étranglement de la chaîne d’approvisionnement mondiale, provoquant une inflation des prix des denrées alimentaires et de l’énergie dans le monde entier.
C’est en grande partie parce que la Russie et l’Ukraine représentent ensemble près d’un tiers de l’approvisionnement mondial en blé. Le blé est l’une des cultures les plus utilisées au monde chaque année, utilisée pour fabriquer une variété de produits alimentaires comme le pain et les pâtes. De plus, l’Ukraine est également un important exportateur de maïs, d’orge, d’huile de tournesol et d’huile de colza.
Les crises alimentaires
Outre la guerre en Ukraine, des facteurs tels que la pandémie de COVID-19 et le changement climatique ont fait que près d’un milliard de personnes ont souffert de la faim l’année dernière, selon les Nations Unies.
L’industrie viticole française a connu sa plus petite récolte depuis 1957 en 2021, avec une perte estimée à 2 milliards de dollars de ventes en raison de températures de plus en plus élevées et de conditions météorologiques extrêmes.
La chaleur, la sécheresse et les inondations ont également décimé les cultures en Amérique latine, en Amérique du Nord et en Inde ces derniers mois. Entre avril 2020 et décembre 2021, les prix du café ont augmenté de 70 % après que les sécheresses et le gel ont détruit les récoltes au Brésil.
Que pouvons-nous faire ?
Les experts sont formels sur les plus gros perdants dans ce schéma : Les pays sous-développés comme la Côte d’Ivoire. Nous sommes des importateurs pour 99% de nos besoins en engrais et nous sommes loin des zones de productions. Nous subissons les effets combinés des tensions sur les stocks et de la hausse des cours du pétrole.
Utilisation des engrais organiques
L’une des options les plus simples est l’utilisation de toutes les sources d’engrais organiques disponibles pour réduire le besoin d’engrais minéraux et chimiques. Cela passe par une éducation et la formation des producteurs. Sur le terrain nous pouvons constater une ruée vers la fiente de volaille au niveau des producteurs de cacao cette année. Dans les zones du nord, le fumier de vache a été utilisé par certains producteurs mais cela reste insuffisant pour les besoins globaux du pays.
Amélioration de la logistique portuaire
Le port d’Abidjan est en général congestionné pendant le premier semestre de l’année. Cette situation provoque des délais d’attente pour les bateaux en général et surtout pour ceux des produits non prioritaires (!) comme les engrais. De plus, le quai SIVENG censé être dédié aux engrais ne peut pas accueillir de grands navires en raison de son faible tirant d’eau. Dans ces conditions, lorsqu’une compagnie d’engrais affrète un grand navire, il faut passer par le quai commercial où les engrais ne sont pas prioritaires et bonjour les dégâts. En 2020 sur un navire de 24 mille tonnes de potasse, Yara avait payé plus d’un million d’euros de surestaries parce que le navire avait attendu pendant 30 jours pour avoir de la place. Et ces montants viennent s’ajouter aux prix déjà élevés des engrais. Et ce sont des sommes non productives pour l’économie locale.
Subventions ?
De nombreux pays au monde ont mis en place des mécanismes pour subventionner le coût des engrais. Le Ghana, le Mali, le Burkina Faso , le Bénin, le Kenya en sont des exemples. En Côte d’Ivoire le marché est plutôt libre. Cependant pour cette crise de 2022, l’Etat a mis en place une subvention de 28 milliards de FCFA pour les intrants du coton. Cette décision est à saluer mais les autres filières agricoles sont délaissées. Ainsi les producteurs de maïs, de cacao, de riz, d’huile de palme et autres doivent se débattre pour acheter des engrais dont le sac de 50 kg coûte parfois plus de 35.000 FCFA au détail aujourd’hui. Le piège des subventions se trouve dans la fraude et les coûts de gestions qui finissent par coûter autant que les montants subventionnés. Le meilleur modèle d’intervention reste celui de la filière coton où l’Etat passe par les sociétés cotonnières qui sont bien organisées pour faire les compensations et les ajustements de prix.