L’actualité Abidjanaise a été marquée par la grève des chauffeurs de taxi compteur cette semaine. Ce mouvement d’humeur a perturbé le transport dans la ville et causé des désagréments aux usagers du taxi dans la capitale économique. Le motif officiel de la grève est que les chauffeurs de taxi compteur estiment que les VTC (Vehicules de Tourisme avec Chauffeur) leur livrent une concurrence déloyale. Ils pointent du doigt le non-paiement de certains impôts et taxes.
En France et en Afrique du Sud, le modèle de VTC incarné par Uber a été vivement et violemment dénoncé dans un passé récent. Vu que ce modèle est à ses débuts en Côte d’Ivoire, il fallait s’attendre à cette crise. Nous sommes en réalité face à une corporation qui résiste à sa disruption par la technologie. Cette tendance est irréversible et il va falloir que les anciens s’adaptent s’ils veulent survivre.
Un peu d’histoire
Avant 1960, le service des transports en commun à Abidjan était artisanal. À côté de quelques pinasses, le transport terrestre était assuré par des fourgonnettes 1 000 kg Renault transportant une vingtaine de personnes sur un trajet fixe, par des voitures particulières transportant 6 ou 7 passagers sur un itinéraire plus ou moins régulier avec un tarif fixe de 30 FCFA (d’où l’appellation wôrô-wôrô signifiant trente-trente en langue Malinké) ou par quelques taxis à compteur horodateurs, estimés à seize mille en 2017.
En 1960 la Société des Transports Abidjanais (SOTRA) est créée pour compléter l’offre de transport face à la demande croissante. La convention de concession accordait à la SOTRA l’exclusivité du service de transport en commun de voyageurs dans Abidjan, et prévoyait la suppression des 1 000 kg et des taxis collectifs ne laissant subsister comme transport public, que les taxis à compteur. Le monopole fut effectivement appliqué à partir de juillet 1964 : l’exploitation de la société jusqu’alors déficitaire devint bénéficiaire.
En septembre 1998, l’exploitation de la desserte des quartiers d’Abobo et de Yopougon a été concédée à la Société des Transports Urbains (SOTU) suite à la décision prise par le Gouvernement de réduire le périmètre d’activité de la SOTRA. Cela dans le but de lui assurer une plus grande viabilité opérationnelle et financière. La SOTU qui devait commencer ses activités en 1999 va faire face à des problèmes administratifs, au coup d’Etat et va disparaître sans avoir commencé à travailler.
Pour relier Abidjan à Dabou, Anyama et Bingerville, l’Etat va autoriser les services de minibus communément appelés gbakas, exploités par des transporteurs privés opérant dans un secteur encore non structuré. Leur nombre était estimé en 2000 à environ 3 000 véhicules de 14 à 32 places assises. Progressivement ces derniers vont trouver le moyen de créer des lignes à l’intérieur de la ville et contribuer à la désorganisation du secteur des transports.
La marche tumultueuse des VTC à Abidjan
Les avancées technologiques et la mondialisation vont entraîner des changements dans le secteur du transport en Côte d’Ivoire.
- En juin 2015, Issa Sidibé et Ange Pete lancent Taxi Jet, une application mobile de commande de véhicule avec chauffeur, une sorte de croisement entre l’application Uber et une centrale de réservation plus traditionnelle. Malgré le succès du début, l’entreprise rencontre des difficultés surtout lorsqu’elle essaie de faire payer le trajet entre le parking des taxis et la position du client
- En février 2016, Vangsy Goma lance Africab. Au début les clients commandaient par appel téléphonique et ensuite une application de commande est mise en place. Si le modèle ressemble à une entreprise de mise en relation, Africab détient effectivement une flotte de véhicules aux couleurs de l’entreprise, embauche et paie des chauffeurs à la différence du modèle Uber ailleurs dans le monde. Face aux difficultés financières, Africab tentera de faire financer sa flotte en faisant appel à l’investissement des Ivoiriens a travers un modèle économique offrant une rente mensuelle. Ce sera un échec et aussi la fin de l’aventure Africab qui sera liquidée en 2019-2020.
- Le 4 octobre 2018, le Russe Yandex lance à Abidjan son service de commande de taxi via une application mobile appelée Yango. La Côte d’Ivoire est un premier pays africain pour Yandex et un premier pays où le service est lancé sous la marque Yango.
- Le 31 octobre 2018 l’Ivoirien Franck Yao lance Wassa Taxi la version ivoirienne de Uber pour concurrencer Yango sur le marché Abidjannais.
- Le 2 décembre 2019, le géant américain Uber lance ses activités à Abidjan.
- En août 2021, la GIZ et ATC Comafrique lancent Hestia Express, un service de VTC qui ne recrute que des conductrices en vue de l’autonomisation de 600 femmes à Abidjan.
Aujourd’hui Yango est devenu le bouc émissaire pendant qu’il existe plusieurs compagnies de VTC à Abidjan. Et le plus surprenant c’est que les taxis compteurs sont très nombreux à utiliser la plateforme Yango.
Vieilles méthodes contre générations connectées
Pour relier rapidement les quartiers de la ville, le taxi compteur était la seule option avant l’arrivée des VTC. Mais cette situation n’était pas sans désagréments et risques. Pour emprunter un taxi compteur il faut se mettre au bord de la route et attendre le premier qui se présente. Ensuite le client doit lui dire où il souhaite se rendre. Si le chauffeur accepte, ils discutent pour décider s’ils mettent le compteur ou s’ils font un arrangement. La propreté des véhicules, l’absence de climatisation, l’impolitesse des chauffeurs, les vols, viols et meurtres ainsi qu’une piètre qualité de service sont autant de reproches que les clients faisaient aux taxis compteurs.
Avec la forte pénétration des smartphones, la maturité des millénials et l’arrivée des applications de mise en relation de clients et de VTC, une grande partie des Abidjannais délaisse le taxi compteur. L’application laisse des traces et permet de retrouver le chauffeur en cas de problèmes. Les contrôles faits par les promoteurs des applications réduisent les risques de tomber sur des chauffeurs indélicats.
Demander l’interdiction des applications c’est demander le retour aux méthodes archaïques et incongrues en 2021. Le reste du monde évolue et les usagers auront du mal à revenir aux pratiques rustiques et dangereuses que veulent maintenir les syndicats de taxi classiques.
Quelle issue ?
Les exigences administratives et fiscales auxquelles sont soumis les taxis compteurs à Abidjan sont à mon avis trop élevées. Elles ne sont plus adaptées et n’ont pas évolué avec le paysage urbain et ses réalités. Je ne comprends toujours pas pourquoi il faut exiger au taxi compteur de faire la visite technique (pour le véhicule et pour le compteur qu’ils n’utilisent même plus) deux fois dans l’année. La conséquence est que la majorité circule sans visite technique et avec des compteurs défaillants ou truqués. Par ailleurs, le taxi compteur ne peut s’assurer qu’à la MATCA sans possibilité de faire jouer la concurrence.
De l’autre côté, les promoteurs de VTC exigent le minimum aux véhicules répertoriés sur leurs plateformes. Cela qui leur confère un avantage certain au niveau de la rentabilité. De plus, si certains ont des assurances tous risques, une grande partie des VTC circulent avec des assurances aux garanties minimales, non adaptées au transport de personnes.
Si nous sommes arrivés ces extrêmes, c’est aussi parce que la politique du transport en commun dans le pays est en retard sur l’évolution de la ville. De plus, la SOTRA est incapable de faire face à la demande de transports. L’échec patent des Wibus est le dernier épisode de cette défaillance criarde.
Le ministère des transports doit prendre les devants et adapter le cadre juridique aux évolutions technologiques. Il faut prévoir de la place dans nos lois pour les compagnies de VTC. On ne peut pas interdire les applications de mise en relation quand on attend des milliers de visiteurs pour la CAN 2023.
Les syndicats de taxi compteurs doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas forcer les clients à subir leur piètre qualité de service, leur violence et leur refus d’évoluer. Comme le suggèrent des Ivoiriens, ils peuvent faire développer une application pour commander des taxis compteurs.
Uber, Yango, Hestia Express, Wassa Taxi et autres gagneraient à travailler ensemble. Ils devraient surtout discuter avec les autorités pour leur faire comprendre les implications de cette lutte. Yango le plus en vue en raison de sa force sur le marché, mais les pathologies qui tuent les poulets tuent aussi les pintades comme le dit un proverbe Senoufo.
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