J’ai visité la ville de Duékoué pour la première fois en 2010 et depuis j’y suis retourné plusieurs fois. Mais avant cette connaissance réelle, j’avait beaucoup entendu parlé de cette ville depuis mon enfance. Cette ville a régulièrement été citée en Côte d’Ivoire en raison des affrontements inter communautaires (1995, 2000,2002,2009,2010,2011,2012).J’ai essayé de comprendre comment et pourquoi cette ville souffre tant.
J’ai discuté avec des fils de la région, j’ai visité la ville et ses environs et je vous assure que l’équation est complexe. Duékoué ne connaitra pas la Paix, la vraie Paix tant que les passions ne sont pas mises de côté pour analyser la particularité et ensuite proposer des solutions.Duékoué c’est le paradigme de la crise ivoirienne telle que nous la connaissons depuis plus de vingt ans. Et cette crise ivoirienne n’est pas encore finie quand nous regardons les derniers développements.
Position Géographique
Duékoué est une ville carrefour située dans la région forestière. D’ici, il y a une route vers le Sud-Est, en direction de Daloa (100 km) et de Yamoussoukro. Au nord,à 90 km se trouve Man, le chef-lieu de la région. A l’Ouest de Duékoué en direction du Liberia voisin se trouve Guiglo à 30 km. Et enfin au Sud de Dukoué se trouve Issia, une autre ville carrefour.
Peuplement
Duékoué est une véritable mosaique de peuples de la sous région. Les autochtones de la région de Duékoué sont les Wê (Guéré et Wobê). mais aujourd’hui la plus grande partie des habitants de la ville vient d’ailleurs. Ainsi vivent des Senoufo, Baoulé, Malinkés ainsi qu’une foret communauté venue du Burkina Faso et du Mali. En 2012 la population est estimée à environ 76 mille âmes. Et dans la configuration de la ville, on retrouve un clivage entre les autochtones et les autres peuples. Le plus grand quartier de la ville se trouve être Kokoman, là où se regroupent tous ceux qui ne sont pas originaires de la région.
Economie
Les activités économiques de la villes sont l’agriculture (café, cacao), l’exploitation du bois et le commerce. Et la plupart des activités économiques sont dominées par les populations non originaires de la région…
Dans de telles conditions, en cas de crise économique, les populations se sentent lésées et se rendent compte que les activités économiques qui doivent leur revenir sont dominées par des « étrangers ». Et la fibre communautaire voire nationaliste une fois réveillée est capable de bien des dégâts.
Groupes armés
Duékoué est une vraie poudrière dormante dont le réveil est parfois étourdissant tant les morts par les armes sont nombreux. Le record a été atteint au plus fort de la crise post-électorale avec environ 800 morts selon des ONG.Dans cette région on dénombre trop de forces armées (militaires ou pas, organisées ou non). Ainsi, les Soldats de l’ONUCI sont en place, les FRCI (et autres forces para militaires ivoiriennes telles que les Eaux & Forêts, la Gendarmerie), Les Chasseurs Traditionnels (Dozo), les Combattants de la cause Wê (Un groupe), les Hommes de Amadé Ouérémi (vers Bangolo dans la forêt) et les hommes de Maho Glofiéhi vers Guiglo.
Et les civils ne sont pas en reste. Acheter une arme à Duekoué est aussi facile qu’acheter un sac de riz. En 2011, la kalachnikov AK 47 avec 3 chargeurs se vendait à 10.000 francs. Les gens ne se sont pas faits prier et toutes ces armes sont encore aux mains des populations et des groupes armés.
Problème foncier
Il y a un sérieux problème foncier à Duékoué et les différents gouvernements qui se sont succédés en Côte d’Ivoire n’ont pas pu trouver une solution définitive. Les terres sont particulièrement prisée car fertiles dans ces zones où poussent bien le café et le cacao. L’agriculture n’étant pas le point fort des population autochtones, les allochtones ( peuples venus des autres régions de la Côte d’Ivoire – Baoulé, Senoufo, Malinké…) et les allogènes (peuples venus des pays voisins (Burkina Faso -principalement, Mali) ont pu dominer l’agriculture dans la région. De grandes parcelles de terres ont été vendues il y a très longtemps (parfois dès les années 60) à des populations non originaires de la région. Et les conditions de ventes n’étant pas comprises de la même manière il se pose des problèmes lorsque le premier acquéreur des terres décède. Dans l’esprit de certains, la terre revient à celui qui l’avait vendue et non aux héritiers (fils parfois ivoiriens de par la naissance).Et pour en ajouter à la complexité, certains acquéreurs de terre sont allés au-delà des limites des parcelles qui leur ont été vendues depuis des décennies. La loi sur le foncier rural ( loi de 1998) n’ a jamais été appliquée.
Un jeune de la région me disait qu’eux mêmes n’avaient pas la solution à la situation. Pour lui, même une cession des terres (et même des plantations) aux autochtones n’allait pas résoudre la crise. Selon lui, les Wê ne sont pas des agriculteurs…
Manipulation politique
A cette situation déjà confuse s’ajoute les manoeuvres des hommes politiques qui aggravent les tensions déjà créées entre les communautés.
Les frustrations et autres souffrances créés par les problèmes de nationalité (ivoirité) sont le résultat de manipulations politique aussi. On voit très bien aujourd’hui les ennemis d’hier main dans la main et les amis d’hier sont devenus des ennemis.
Pire, on a vu des leaders de partis politiques appeler les communautés à ne pas se laisser faire et à se préparer à en finir avec ceux d’en face. Le paroxysme fut atteint pendant la crise post-électorale lorsque des tonnes d’armes d’assaut ont été distribuées gratuitement aux jeunes. Pour quoi faire? Contre qui?
Aujourd’hui la réconciliation est devenu un refrain sans effet et les partis politiques continuent de prendre le peuple en otage. Et Duékoué n’échappe pas à cette situation. Les communautés sont systématiquement identifiés aux partis politiques (FPI pour les Wê, RDR & PDCI pour les autres), ce qui les projette ainsi dans les crises qui opposent ces formations politiques.
La ville de Duékoué résume à elle seule différentes facettes de la crise ivoirienne.
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