Je suis un fils de producteur de coton. Je suis né dans un champ de coton quelque part au nord ouest du pays. J’ai grandi dans la filière coton et je suis aujourd’hui par la force des choses en train de travailler avec les producteurs de coton. Ma famille continue de produire du coton et je veux parler aujourd’hui de la filière coton en Côte d’Ivoire.
Quelques chiffres sur la filière
Le coton contribue à hauteur de 7% dans les recettes d’exportation en Côte d’Ivoire pour une valeur de 100 milliards de FCFA. Le bassin cotonnier occupe un peu plus de 50% des superficies agricoles du pays. C’est le quatrième produit d’exportation après le cacao, le café et l’anacarde. Au niveau national, le coton contribue à 1.7% dans le Produit Interieur Brut (PIB) du pays. À ce jour, 3,5 millions de personnes en vivent et il est produit par 132 mille producteurs. En 2020, le pays a produit 574 mille tonnes de coton graine avec un rendement qui est passé de 900 kg à 1,2 tonne par hectare.
Une culture coloniale
Le développement de la culture du coton en Côte d’Ivoire remonte au début des années 1900. Après la seconde guerre mondiale, une restructuration et segmentation de la filière coton en France se produisent, avec, d’une part, la mise en place de l’Institut de Recherche du Coton et des Textiles Exotiques (IRCT) créé en 1946 pour la recherche et expérimentation et de la Compagnie Française de Développement des Fibres Textiles (CFDT) créée en 1949 pour la vulgarisation de la culture, d’autre part. Le secteur privé, principalement les Ets. Robert Gonfreville (ERG) assure l’égrenage, la commercialisation et l’industrie textile en aval. Une caisse de stabilisation (créée par l’administration coloniale) permet de fixer les prix de campagne de façon à encourager la production.
Après l’indépendance, ce système est reconduit et favorise une plus grande intégration de la filière (notamment par le rachat de toutes les usines privées d’égrenage par la CFDT) et une intensification du système de production (fertilisation et traitements insecticides), ce qui permettra le véritable décollage de la production au cours des années soixante. À partir des années soixante-dix, la culture du coton est développée à grande échelle dans la zone nord et centre de la Côte d’Ivoire.
La relève par la CIDT
La Compagnie Ivoirienne pour le Développement des Fibres Textiles (CIDT), société d’économie mixte, prend la relève de la CFDT en 1974.
Il s’agit d’une société d’économie mixte détenue à 70% par l’État ivoirien et 30% par la CFDT, dont le mandat couvre le développement de la culture du coton, l’encadrement et la formation des planteurs et l’appui à leurs organisations professionnelles, la collecte du coton graine, l’égrenage et la commercialisation de la fibre et de la graine, dans le cadre d’une gestion intégrée de la filière. Le crédit intrants est assuré par la CIDT qui se rembourse sur le coton graine. Des contrats de recherche sont passés avec les instituts de recherche (IRCT, puis IDESSA, puis CNRA), pour la production des semences de base et la mise au point des variétés sélectionnées.
Les inévitables problèmes de la CIDT
La fin des années 1980 voit apparaître des difficultés attribuables entre autres à des pertes de productivité, des conflits avec les groupements de producteurs et des problèmes de gestion et de rentabilité.
Une convention sera signée entre l’État et la CIDT, en 1991, visant à accroître la production de coton graine, à mieux faire participer les producteurs à la gestion de la filière et à préparer la privatisation et la libéralisation de la filière.
Jusqu’en 1991, la CIDT déterminait le prix de campagne qui était fixé par décret. À partir de 1991, le schéma de développement semble s’essouffler et, sous la pression des bailleurs, dans la cadre du premier Programme d’ajustement sectoriel agricole (PASA), l’État ivoirien passe une convention cadre avec la CIDT pour une durée de 5 ans. Cette convention vise à préciser les obligations réciproques de l’État et de la CIDT dans le triple but de : promouvoir la culture du coton et des cultures assolées, préserver l’équilibre financier de la filière, assurer un partage équitable des profits et des risques.
À la suite de la privatisation partielle, on a assisté à une phase transitoire qui devait en principe s’étende sur deux ans (1998-2000). Cette période transitoire a donné un rôle de coordination la CIDT, en attendant la mise en place des nouvelles sociétés privées.
Il a adopté en mars 2013, un décret de réforme de la filière dont l’épine dorsale est le retour à l’attribution de zones exclusives à toutes les sociétés cotonnières et à tous les égreneurs. La liquidation de La Compagnie Cotonnière Ivoirienne (LCCI) a entraîné la naissance de nouvelles sociétés cotonnières en 2008 (COIC-SA, SECO SA).
Une culture pénible avec des utilisations intéressantes
Le coton est une culture annuelle qui demande énormément de travail. L’itinéraire technique est vorace en main-d’œuvre et en intrants. C’est une culture annuelle, à l’opposé des cultures pérennes. Chaque année il faut arracher les plants, labourer le sol, nettoyer et semer à nouveau en priant Dieu que la pluviometrie soit bonne et vienne au bon moment.
Après la récolte, le coton graine est égrené dans des usines en Côte d’Ivoire. À ce jour, les compagnies cotonnières ont une capacité totale d’égrenage de 600 mille tonnes par an. Après l’égrenage, la fibre de coton compactée en balles est exportée à 90%, l’industrie textile locale ne consommant qu’une infime partie de la production. La graine de coton est triturée pour produire de l’huile de table, de l’aliment de bétail, des savons et de la margarine.
Organisation de la filière de nos jours
Le coton en Côte d’Ivoire est produit par de petits planteurs. Ils opèrent sur des exploitations d’environ deux hectares en moyenne, superficies partagées avec les cultures vivrières (50 à 60 %) qui bénéficient des intrants du coton. En 2020 on dénombrait 132 mille producteurs de coton qui ont produit 574 mille tonnes de coton graine.
Ces exploitations familiales sont reparties dans plus de 4000 villages et campements de 23 départements du pays. La culture du coton est donc pratiquée sur une importante partie du territoire ivoirien.
Les producteurs sont regroupés dans plus d’un millier d’organisations professionnelles agricoles. Ces Unions sont regroupées au sein de la Fédération des Producteurs de Côte d’Ivoire (FPC-CI) Les sociétés cotonnières elles, sont regroupées au sein de l’Association Professionnelle des Sociétés Cotonnières de Côte d’Ivoire (APROCOT-CI).
Ces deux associations ainsi que celle des acteurs des deuxièmes et troisièmes transformateurs représentés par l’APROTEXTILE-CI (Association des Professionnelles du Textile) et ATCI (Association des Triturateurs de Côte d’Ivoire) représentent les trois familles professionnelles qui composent ce jour l’INTERCOTON, l’Organisation interprofessionnelle créée en 2000 et restructurée en 2013.
Par ailleurs, l’aspect de régulation régalienne est assuré par le Conseil du Coton et de l’Anacarde.
Problèmes
Les indicateurs sociaux montrent que la zone cotonnière comporte les régions les plus défavorisées de la Côte d’Ivoire (mortalité infantile, taux d’analphabétisme chez les adultes et taux de scolarisation des enfants).
Le manque d’entretien des pistes et des ponts rend un grand nombre de villages inaccessibles, surtout en saison des pluies. L’insuffisance de points d’eau potable, d’infrastructures de santé et d’éducation caractérise cette zone.
Les revenus des paysans de la zone cotonnière sont généralement bas, et le coton a longtemps constitué la seule culture de rente. Les besoins en crédit relatifs à la culture du coton sont importants, mais, en l’absence de crédit à l’exploitation, la tentation est grande d’utiliser les intrants sur d’autres cultures, ou de les revendre pour subvenir aux autres besoins monétaires. Cette tendance s’accroît surtout pendant la période dite de soudure où les nouvelles productions de vivrier ne sont pas mûres et la rentrée des classes.
L’emprise de la tradition en milieu rural est forte et limite l’expression des innovations et l’accès des groupes sociaux défavorisés (femmes et jeunes) à la production.
L’analphabétisme limite encore sévèrement la communication écrite et la capacité de gestion dans les villages. Le taux de fréquentation scolaire est faible (30% à 40%), particulièrement parmi les filles qui ne représentent que 25% à 30% des effectifs.
L’accès généralement limité aux soins de santé et aux médicaments, l’approvisionnement problématique en eau potable, les pénuries alimentaires et les périodes de soudure difficiles.
La mutualisation de la production et la distribution de semences de qualité aux producteurs restent un problème à régler. L’organisation individuelle de la production des semences conduit à des disparités et entraîne la coexistence de plusieurs variétés de coton sur le marché. Cela conduit à la réduction de la valeur de la fibre ivoirienne sur le marché International.
Le suivi effectif de la mise en œuvre du zonage et le règlement des litiges frontaliers entre les acteurs des zones exclusives restent des sujets de discorde entre les sociétés productrices de coton.
La mécanisation de la filière reste un gros projet qui n’avance pas du tout. Les différentes tentatives de la CIDT ont échoué et nous utilisons encore des bœufs pour produire du coton dans le pays en 2021. Le pays doit pouvoir organiser le montage et le financement de tracteurs agricoles et leurs accessoires dans le pays pour couvrir les besoins des différentes filières.
La mort de l’industrie textile locale reste une honte pour nous qui produisons autant de coton. Un programme pour une industrie locale compétitive pourrait aider les producteurs de coton locaux et aussi créer des emplois dans le bassin cotonnier.
Quels revenus ?
Le prix d’achat du coton graine au producteur est garanti et annoncé par l’Etat en Côte d’Ivoire. Ces 3 dernières années il a été fixé à 300F/kg. Pour un rendement moyen de 1,200 kg par hectare, cela fait une recette annuelle de 360.000FCFA brut/ha/an. De cette recette le producteur doit retirer le coût des intrants, la main-d’œuvre et des charges diverses. Les intrants étant fournis en général à crédit par les sociétés cotonnières. Leur coût est déduit des recettes avant que le reliquat soit paye au producteur. Il arrive que le producteur finisse une année et en sort déficitaire.