Tiassalé est une ville de quarante mille habitants située à 120 kilomètres d’Abidjan. L’un des éléments remarquables de cette ville c’est son pont construit en 1934 avec ses 22 arcades. Il est intéressant de savoir que les fleuves N’Zi et Bandama se croisent pour couler sous ce pont. A la sortie de la ville (ou en y entrant c’est selon), il y a une grande superficie de bas-fonds dans lesquels des coopératives cultivent du riz.

Pour être plus précis ces producteurs sont devenus spécialistes de la production de semences de riz dans la région. Comme beaucoup d’autres groupements de producteurs, ces derniers ont été formés au Système de la Riziculture Intensive (SRI), l’ont accepté et continuent de le pratiquer. La conséquence c’est qu’ils ont des rendements supérieurs à la moyenne nationale et ils fournissent le marché en semences de qualité. L’une des exigences du SRI c’est la mise en place de la pépinière avec 6 à 8 kg de semences par hectare là où la pratique usuelle des paysans utilise 50 à 60 kg. Pour la fertilisation du sol, le SRI recommande une méthode des granules enfouies dans le sol qui consomme moins d’engrais que la pratique paysanne. J’espère que vous me suivez toujours…

Epis de riz presque mûr

A l’entrée de Gagnoa j’ai visité un autre périmètre de riziculture et la différence était frappante en termes de qualité des casiers de riz et de pratiques agricoles. Dans ma discussion avec les exploitants je leur ai demandé s’ils connaissaient le SRI. Ils le connaissent, ils connaissent les producteurs que j’ai rencontrés à Tiassalé.

Ces derniers les ont même formés. Et j’ai été surpris de savoir qu’ils reconnaissent que le SRI améliore le rendement et les revenus du producteur tout en réduisant les besoins en intrants. J’ai demandé pourquoi il savent que c’est bon pour eux mais il ne le font pas? Et j’ai souri quant il m’a dit: quand on sème en ligne ça prend trop de temps, ça nous fatigue. Nous on veut vite finir et rentrer [en ville]. J’étais face à l’une des contradictions fréquentes chez l’Homme: Savoir ce qui est bon pour lui et faire le contraire…comme les médecins qui fument.

Rattrapés par l’acrasie

Les êtres humains procrastinent et agissent avec des contradictions depuis des siècles Même les écrivains prolifiques comme Victor Hugo n’ont pas été à l’abri des distractions de la vie quotidienne. Le problème est si intemporel, en fait, que les philosophes grecs anciens comme Socrate et Aristote ont développé un mot pour décrire ce type de comportement: l’acrasie (du Grec Akrasia). L’acrasie est le fait d’agir contre votre meilleur jugement ou encore « Je vois le bien, je l’approuve, et je fais le mal ». Pourquoi Victor Hugo s’engagerait-il à écrire un livre et à le reporter à plus d’un an? Pourquoi faisons-nous des plans, fixons-nous des échéances et nous engageons-nous à atteindre des objectifs, mais ne réussissons-nous pas à les respecter?

Vaincu par le plaisir

Selon Socrate, la science « à l’intérieur de l’homme » ne saurait être dominée par les passions. Un homme qui a la connaissance vraie du bien et du mal, ne peut pas mal agir. Supposer le contraire, ce serait, affirme Socrate, dire que la science est « inférieure » aux passions : c’est considérer « la science comme une esclave que toutes les autres choses traînent à leur suite. » Si pour Socrate il y a une équivalence entre le plaisir, l’agréable et le bien, la réalité est en effet différente et des penseurs comme Aristote prendront le contre-pied de cette position. Et moi aussi je pense que Socrate exagère. Le plaisir du moment prend le dessus sur le plaisir différé pour le moi futur. Autrement dit, le plaisir de mon canapé le soir devant la télévision prend le dessus sur le plaisir de mon futur moi avec sa forme athlétique et son cerveau plein de connaissances nouvelles apprises dans de nouveaux livres. Ou encore, le plaisir de fanfaronner sur les réseaux sociaux avec des montages photos prend le dessus sur le plaisir de mon futur moi, entrepreneur sérieux qui s’est construit par le travail acharné et régulier avec humilité.

​Trois idées pour vaincre l’acrasie

On connaît bien la procrastination : remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même ! Aujourd’hui on a une idée plus claire de l’acrasie. S’il y a une nuance, ces deux mauvaises habitudes sont en fait des cousines qui nous tirent vers le bas. De l’acrasie à la procrastination, il n’y a qu’un tout petit pas. Alors pour vaincre cette famille nocive vous trouverez pleins de conseils ici et là. J’utilise une approche en 3 étapes qui marche pour moi.

Influencer nos actions futures

Il s’agit de prendre des mesures maintenant pour influencer notre comportement dans le bon sens. Pour passer moins de temps sur son téléphone par exemple on peut supprimer les jeux et les applications des réseaux sociaux et désactiver les notifications. Pour regarder moins la télévision, on peut la cacher ou ne pas renouveler son abonnement au câble ou Netflix. Et on économiserait par la même occasion. Pour faire plus de sport on peut mettre les équipements à portée de main. Le choix des aliments qu’on garde dans son réfrigérateur influence aussi la façon dont nous allons nous nourrir. Une légende raconte que pour terminer l’écriture de Notre-Dame de Paris dans le temps convenu avec son éditeur, Victor Hugo s’est débarrassé de ses vêtements, afin de ne plus avoir de moyen de sortir de chez lui, et de s’obliger à rester assis devant son bureau , n’ayant plus rien d’autre à faire que d’écrire. Radical mais efficace!

Réduire les frictions du début

En fait nous sommes bourrés de bonnes intentions jusqu’au moment de passer à l’acte. Mais la culpabilité et la frustration de la procrastination ou des mauvaises décisions sont toujours plus douloureuses que la peine ressentie en faisant ce qu’on devrait faire. Pourquoi procrastinons nous donc ? Pourquoi ne faisons-nous pas ce qui est bon pour nous? Le plus dur n’est en général pas de faire le travail en lui même. Le plus dur c’est le début. Et le plus grand défi dès lors c’est de trouver les moyens de commencer. Cela requiert une forte dose de motivation et un changement de nos habitudes forgées depuis longtemps. Des amis proches ou personnes de confiance peuvent nous aider à commencer.

La mise en œuvre et le suivi

Si la motivation nous permet de vaincre les frictions du début, seul un changement d’habitudes nous permettra de continuer sur la nouvelle voie. Écrire des plans d’actions très clairs, précis et détaillés aide à faire des progrès dans les changements d’habitudes. Se fixer des objectifs SMART ( Spécifiques, Mesurables, Ambitieux, Réalistes, circonscrits dans le Temps), mesurer ses performance, corriger les écarts ou revoir les plans. La visualisation du résultat final des efforts peut être aussi un puissant catalyseur pour changer les habitudes. Et si on a toujours des difficultés, il faut demander de l’aide.

La problématique du riz en Côte d’Ivoire

Pour ce qui est de la problématique nationale du riz, il faut savoir que la Côte d’Ivoire importe plus de la moitié de sa consommation de riz. La production nationale ne suffit plus à combler nos besoins qui ont augmenté en raison de la démographie et du changement de nos habitudes alimentaires (50-60 kg en moyenne/habitant/an). La plupart des petits producteurs sont dans de l’agriculture de subsistance, et ce n’est pas facile de les transformer en opérateurs agricoles forts du jour au lendemain.La production est à 80% dépendante de la pluviométrie et l’accès aux semences à haut rendement, l’absence de mécanisation, le coût des intrants sont des raisons qui plombent les rendements des riziculteurs ivoiriens. Ainsi il revient moins cher d’importer du riz que de le produire localement. L’on peut aussi pointer du doigt les subventions faites aux agriculteurs dans certains pays qui rendent leur riz plus compétitif sur le marché mondial. J’ai aussi lu certains qui demandent de taxer le riz importé. Vu que le riz local ne suffit pas à nourrir toute la population, cette solution va entraîner une flambée du prix du riz et des problèmes sociaux. Des solutions ont été proposées par de nombreux experts et  l’Agence pour le développement de la filière riz (ADERIZ), le bras armé du Ministère de la Promotion de la Riziculture travaille pour que le pays atteigne l’autosuffisance en riz. Il reste beaucoup à faire et il n’y aura pas de raccourci ni de remède miracle. Il va falloir de la collaboration entre le public et le secteur privé, des investissements énormes, une dose de bonne gouvernance et de grands changements chez les producteurs aussi.